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Denis Emorine

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Saïda Oudjoukhou est née à Maïkop (Russie). Elle est étudiante en français à l’université d ‘Etat de la République des Adyghéens. Actuellement, elle suit une formation à Paris pour approfondir sa connaissance de la langue et de la culture françaises. Elle a rencontré Denis Emorine en mai 2005 à Moscou lors d’un concours consacré à la langue française. Tous deux ont rapidement sympathisé.

Entretien avec Saïda Oudjoukhou

Denis Emorine , qu’est-ce qui vous inspire le plus souvent pour écrire ?
Il me semble que c’est d’abord le temps, la manière dont il s’exerce sur nous en détruisant parfois les relations humaines. Je suis fasciné également par ces relations humaines et tout ce qui les anime : le langage, les sentiments, l’incompréhension entre les êtres et enfin la recherche de l’identité. L’écriture est un exemple de cette recherche toujours insatisfaite.

Quelle est votre attitude à l’égard de la mort ?
La mort est très présente dans mon œuvre. Je la redoute surtout pour ceux que j’aime. C’est une sorte d ‘ obsession qui est toujours en filigrane dans mes écrits. Une de mes amies me disait récemment avec humour : « Ce qui est pratique pour tes lecteurs, c’est qu’ils n’ont pas besoin de lire jusqu’au bout puisque tout aboutit à la mort dans chacun de tes livres ! » Elle a sans doute raison. Et pourtant, j’aime la vie mais l’irréversibilité du temps m’angoisse et nourrit mon théâtre, mes nouvelles et mes poèmes. Un de mes amis, Dimitri Zadkine affirme d’ailleurs que c’est mon inspiration principale. Selon lui, elle soutient tout le reste.
« Toute mort est vécue par Denis Emorine comme une métaphore pour mieux envisager la sienne » a-t-il écrit. Oui, c’est indéniable, beaucoup de mes textes se référent à la mort soit directement soit sur le plan symbolique, le plus souvent par métaphore. La fuite du temps est l’un des visages les plus prégnants de la mort. Je m’en détache difficilement.

Quel métier auriez-vous choisi si vous pouviez tout changer ?
Sans hésiter, un travail dans l’édition comme directeur de collection ou mieux encore vivre de ma plume, c’est-à-dire écrivain à plein temps. Quelle exigence, n’est-ce pas ? !…

On dit que les œuvres sont comme les enfants d’un écrivain. Est-ce que c’est vrai ? Si oui, quel livre aimez-vous le plus parmi les vôtres ?
Cette affirmation revient très souvent. Certains psychanalystes affirment que l’homme écrit parce qu’il ne peut pas enfanter. L’écriture résulterait donc d’une frustration devant la vie.
Une féministe ( dont j’ai oublié le nom) affirmait également que l’homme retrouve ainsi sa part de féminité parce que l’écriture est l’image de la parturition. Selon elle, toute mère écrit la partition de la vie. La femme, ayant enfanté ou non, serait un écrivain « naturel ». Certes, beaucoup d’écrivains parlent de la douleur liée à l’acte d’écrire. La symbolique est toujours très importante dans l’art.
Pour moi, la douleur n’est pas liée à l’écriture à proprement parler – j’écris vite et facilement – mais à la relecture qui suppose un regard forcément critique et différent. C’est une sorte de dédoublement long, exigeant, une ascèse qui doit « libérer » le texte pour mieux le transmettre au lecteur.
Le livre que je préfère le plus, c’est toujours celui qui reste à écrire. Sinon, j’avoue une certaine forme de tendresse à l’égard de « Sur le quai », une courte pièce de théâtre qui contient tous mes thèmes : l’amour et la mort, la fuite irréversible du temps et aussi un certain romantisme lié à la rencontre de deux êtres qui n’auraient jamais dû se connaître et même échanger un regard.

Quelles sont les trois choses les plus importantes pour vous dans la vie et pourquoi ?
C’est une question difficile. Je dirais l’écriture bien sûr parce qu ‘elle m’engage tout entier, l’amour parce qu’il m’engage ma sensibilité, et l’amitié qui, pour moi, est une autre forme d’amour avec ses exigences propres. J’aime, dans les trois cas, la rencontre avec soi et avec l’autre. Je n’affirmerais pas comme Sartre que « j’ai la passion de comprendre les hommes », ce serait présomptueux et faux en ce qui me concerne mais ces trois choses-là se résument à un mot : découverte de l’autre et de soi. Écrire et aimer sont, parmi d’autres, deux aspects importants de ma vie.

On dit que la littérature n’intéresse point les jeunes gens d’aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ?
La littérature a toujours été l’affaire des happy few selon l’expression de Stendhal. Que lit-on vraiment en France sinon les prix littéraires qui sont des « valeurs sûres » (pour le porte-monnaie) ? Aimer la littérature est une activité marginale et une forme de folie dont je me demande parfois si l’abus n’est pas dangereux.. On entend beaucoup d’affirmations sur le manque d’enthousiasme des jeunes devant la littérature et notamment les Classiques. Je pense qu’il est difficile pour eux d’éprouver de l’intérêt pour Chimène et Rodrigue, pour Frédéric le héros de « L’Éducation sentimentale » ou encore Fabrice Del Dongo qui sont tellement loin de leurs préoccupations quotidiennes. Ce n’est pas rédhibitoire. La littérature contemporaine serait-elle plus accessible ? ce n’est pas sûr. Lorsque j’étais adolescent, je lisais pour m’évader du monde réel, pour en créer un à ma mesure.. On a tellement répété aux jeunes qu’il leur serait très difficile de trouver du travail, que le monde est triste, que la vie est un éternel combat, que leur niveau est lamentable, que l’école sert à trouver un métier ! Comment s’étonner de leur désaffection à l’égard de la littérature ?
Je n’ai pas de préjugés défavorables à cet égard. J’oserais dire, pour nuancer, que si la plupart des jeunes ne lisent pas ou ne lisent plus, ce n’est pas bien grave. Il y a sans doute d’autres manières que j’ignore d’atteindre l’absolu.

 

Deux poèmes dédiés à Saïda Oudjoukhou :

 

Je me suis si souvent enfui
pour échapper à moi-même
et pourtant je n’ai pas réussi à la
chasser de mon esprit.
Elle me hante jour et nuit :
elle est entrée en moi par effraction.
à quoi bon lui rendre hommage encore ?
Pour la rime
ou
pour la métaphore ?

 

Paris (jardin du Luxembourg)

Il y a dans l’air
comme un souffle de toi.
Ton sourire glisse sur les arbres,
effleure mes paumes.
Je marche lentement, les yeux
à terre.
Mes mains s’ouvrent sous
la caresse de tes mots.

Je relève la tête :
tu es là…

 

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